RSA : La droite val-de-marnaise lance la chasse aux pauvres

Aujourd’hui, la majorité du Conseil départemental du Val-de-Marne s’apprête à adopter sa nouvelle stratégie en matière de RSA. Sous couvert de la novlangue habituelle (« insertion », « retour à l’emploi », « juste droit », « accompagnement ») la droite n’a à l’évidence pour objectif que de durcir le ton vis-à-vis des allocataires.

D’autant que ceci s’inscrit dans une chasse aux pauvres généralisée :

Pour justifier sa nouvelle stratégie RSA, le Conseil départemental fait le constat que « le nombre d’allocataires ne diminue pas au même rythme que la reprise de l’économie francilienne » (sic). En clair : la situation économique pays est bonne, si les allocataires sont toujours au RSA, c’est par choix. Idéologie à l’évidence totalement déconnectée de la réalité.

Rappelons en préambule que depuis son instauration par la loi en 2009, le RSA n’est pas une simple allocation, mais doit aussi faire l’objet d’un véritable accompagnement social (en théorie par Pôle emploi et les départements). Dans le même temps, le bénéficiaire doit s’engager à réaliser des démarches d’insertion sociale et professionnelle.

En ce sens et de façon théorique, une partie de la stratégie du Département (contrats d’engagement réciproque, accompagnement) pourrait s’avérer soutenable. Mais son étude minutieuse montre qu’elle est, au vrai : idéologique, déconnectée des réalités de la pauvreté et surtout dénuée de moyens.

Le Conseil départemental prétend lutter contre le non recours

Comme le rappelle un tout récent dossier de la DREES, le non-recours –c‘est-à-dire les personnes qui ont droit au RSA mais n’en font pas la demande, est « estimé à 34% en moyenne par trimestre et 20% de façon pérenne (trois trimestres consécutifs) » (dossier de la DREES n°92 – février 2022).

Le Département du Val-de-Marne prétend mettre en place une politique « d’aller-vers » pour faire baisser ce taux de non-recours. Sur le papier, qui pourrait aller contre cette idée ? Mais dans les faits, les moyens annoncés sont 1) ridiculement faibles 2) parfaitement flous. Autant dire qu’il s’agit là d’un habillage. Les 10 à 15.000 Val-de-Marnais qui ne réclament par leur droit ne sont pas prêts d’être touchés par cette pseudo-politique.

Car il faut analyser les mécanismes qui conduisent au non-recours. Ils peuvent se résumer en trois points : la méconnaissance des dispositifs existants, la complexité invraisemblable d’accès à ces aides, l’effet stigmatisant de la demande.

Que propose le Conseil départemental pour contrer ces freins ? Qu’annonce-t-il pour détecter les publics qui échappent au dispositif ? Qu’envisage-t-il pour simplifier les demandes ? Strictement rien. Si ce n’est donc une vague politique « d’aller-vers »… qu’il va de surcroît exiger d’autres organismes que lui-même (CCAS et associations locales) ! Tout cela n’est que flûte et violons, la droite se moque éperdument que des gens dans l’extrême pauvreté y restent et n’accèdent pas à leurs droits –en l’occurrence celui d’être juste un peu moins pauvres.

Chers Conseillers départementaux, que prévoyez-vous par exemple pour automatiser l’accès aux droits  et attribuer le RSA aux 30% de personnes qui ne le réclament pas dans le Val-de-Marne ? Si vous en aviez l’intention, vous augmenteriez le budget prévisionnel des aides versées de 30%. Le faîtes-vous ? Non. CQFD : vous n’avez aucunement l’intention de verser le RSA à 10.000 personnes de plus. On ne peut prétendre augmenter le nombre d’allocataires, à enveloppe constante. La supercherie est un peu grosse.

Le Conseil départemental veut amplifier les contrôles

L’obsession de la droite pour le contrôle permanent des pauvres est fascinante. Les allocataires d’aides sociales sont les plus contrôlés du pays : lorsqu’on est bénéficiaire du RSA ou d’allocations familiales, il faut en permanence démontrer qu’on est pauvre. A tous les guichets l’humiliation de prouver son dénuement, à tous les guichets la démonstration répétée qu’on n’est pas un fraudeur. C’est cela la vraie vie quotidienne d’un défavorisé. C’est aussi cela la vie des travailleurs sociaux qui dépensent plus d’énergie aux vérifications qu’aux accompagnements. Mais dans l’esprit de nos Conseillers départementaux, il faut augmenter encore la pression, vérifier toujours plus si, derrière le demandeur, ne se cache pas un richissime fumeur de cigares.

D’où les références répétées à la mise en place de « suspension-réduction », pour laquelle le Conseil départemental dit explicitement qu’il va embaucher des contrôleurs. Pour ce volet de la stratégie, les moyens sont mis.

Pourtant, la Cour des comptes elle-même affirme que la « fraude » relève en réalité en grande majorité d’erreurs et « concerne majoritairement les montants versés plutôt que l’éligibilité effective des personnes au dispositif ». Mais peu importe à la droite départementale qui ressasse l’antienne –maintes fois battue en brèche– selon laquelle on vit mieux au RSA (avec 497 €) qu’en emploi (avec 1269 €).

Le travail ? Quel travail ?

Tout l’habillage de la stratégie annoncée tourne autour de l’emploi : le Contrat d’engagement réciproque  (CER) que le Conseil départemental met en avant évoque les fameux « droits et devoirs ». Mais si l’on admet que les allocataires ont des devoirs, quid de ceux des institutions ? « Retour à l’emploi », mais quel emploi ? Il y a 5,6 millions de de demandeurs dans ce pays : qui est responsable du fait que les allocataires du RSA ne puissent travailler –ou si peu quand ils y parviennent ?

Les CER sont inscrits dans la loi, ils doivent être signés. S’ils ne le sont pas pour un certain nombre d’allocataires (14.000 d’après le Département, au prix manifestement d’une règle de trois approximative en fonction des chiffres nationaux), c’est à l’évidence un dysfonctionnement qui doit être corrigé. Mais une fois qu’on a dit cela, quel accompagnement réel ?

Les propres travailleurs sociaux du département du Val-de-Marne tirent la sonnette d’alarme depuis des mois : le nombre de postes vacants dans les Espaces départementaux des solidarités (EDS) est immense ; les recrutements dans le domaine social sont extraordinairement difficiles. En clair : les agents ne parviennent pas à correctement faire leur travail aujourd’hui, mais le Conseil départemental prétend accroître le rythme avec une vingtaine de recrutements d’agents d’insertion dans un territoire de 1,3 millions d’habitants ? L’ambition est tellement dérisoire qu’elle en serait presque risible.

Du moins si le Département ne prévoyait pas d’imposer à d’autres le suivi de l’insertion des allocataires. Car voilà la grande idée : mettre la pression sur d’autres (CCAS, associations, missions locales et même Pôle emploi) parce qu’on est soi-même incapable d’assurer un travail social, qui pourtant nous incombe.

Par ailleurs, si les Conseillers départementaux avaient, ne serait-ce qu’une heure dans leur vie, fréquenté un lieu d’accueil social, ils sauraient à quel point beaucoup de ces allocataires sont brisés et éloignés de l’emploi. Ils sauraient que leur vision théorique de la pauvreté est aberrante : 34% des bénéficiaires sont sortis par l’emploi du RSA 7 ans après l’entrée dans le dispositif –dont seulement 1/3 de façon stable (Cour des comptes, janvier 2022). Sauter sur son siège en s’exclamant « l’emploi, l’emploi ! » est une attitude vouée à l’échec.

Alors ?

Le rapport de la Cour des Comptes sur le RSA sorti il y a un mois propose quelques pistes pour améliorer le dispositif. Le Conseil départemental du Val-de-Marne pourrait s’en inspirer et proposer des aménagements pour réellement toucher les publics qui échappent au dispositif, pour simplifier les demandes, etc. Il pourrait expérimenter le RSA pour les 18-25 ans qui en sont aujourd’hui exclus. Il pourrait s’inscrire dans la « nationalisation » du versement du RSA –à l’instar de la Seine-Saint-Denis.

Au lieu de cela, il préfère enfoncer les bénéficiaires dans toujours plus de bureaucratie, toujours plus de suspicion. Pour un résultat qu’on peut déjà annoncer comme nul en matière d’insertion : d’autres départements ont déjà appliqué la même politique, sans aucun résultat probant.

Quant à enlever le RSA à une personne, concrètement c’est le faire passer de la pauvreté (497 € par mois) à l’extrême pauvreté (0€). C’est donc inacceptable et bien éloigné de l’idée qu’on peut se faire de la solidarité.

L’idée de départ du RMI (1988), puis du RSA (2009), était  la lutte contre l’extrême pauvreté.
Olivier Capitanio et sa majorité visent, eux, la lutte contre les pauvres.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *