Migrants, ne nous laissez pas seuls avec les fascistes !

Ainsi, Emmanuel Macron, prétendant être à l’écoute du peuple et fin connaisseur des classes populaires, fait bouillir la question migratoire sur le feu d’un populisme « de bon sens ». Combien de fois avons-nous eu droit à cela en France ? Huit lois relatives à l’immigration ces quinze dernières années, huit ! Pour quel résultat ? Tous les gouvernements s’y aventurent et ne provoquent, encore et toujours, que la montée de l’extrême-droite. Comment pourrait-il en être autrement cette fois puisque, loin de démonter les thèses racistes du Rassemblement National, le gouvernement Macron ne fait qu’en valider tous les paradigmes.

Les classes populaires

Il y a quelques jours, le chef de l’État affirmait vouloir regarder le sujet de l’immigration en face et exhortait LREM à ne pas être « un parti bourgeois car ce sont les classes populaires qui vivent avec [les immigrés] ». Comme si côtoyer des immigrés provoquait par nature leur rejet. Comme s’ils ne faisaient pas aussi partie des classes populaires. Comme si le richissime XVIème arrondissement de Paris était un repère d’internationalistes convaincus. Comme si la solidarité dans les quartiers populaires était un vain mot. Faut-il ne rien comprendre à son pays pour s’exprimer comme le fait Emmanuel Macron ?

Chez moi à Alfortville, depuis plus de trois mois, des travailleurs sans-papiers sont en grève et dorment tous les jours dehors, dans des tentes installées devant l’agence Chronopost. Ils ne travaillent plus, n’ont plus de revenu et vivent de la solidarité organisée des syndicats et de celle, spontanée, de citoyens qui tous les jours amènent nourriture, couvertures, eau, vêtements. Qui sont ces anonymes qui viennent spontanément aider des clandestins ? Ils sont en grande partie issus des quartiers que notre président désigne comme racistes.

Emmanuel Macron, installé dans son palais, lecteur attentif des sondages et des résultats électoraux dans de beaux et grands fichiers Excel™, observe que l’extrême-droite réalise de bons scores dans les anciens bassins miniers ou les quartiers populaires et en déduit qu’y règne un rejet de l’étranger.

Pourtant, à chaque élection dans ces quartiers prédomine l’abstention : plus qu’en colère leurs habitants sont écœurés. Décennie après décennie, ils ont été abandonnés dans leur ghetto social et ne croient plus que la France puisse mettre fin à l’apartheid qui les vise. Qu’une partie d’entre eux vote pour l’extrême-droite est certain. Mais la colère, si elle s’exprime dans les urnes, est-elle dirigée contre les immigrés ou guidée par le sentiment d’abandon des politiques néolibérales menées depuis tant de temps dans notre pays ? En veulent-ils aux étrangers ou ne font-ils qu’intégrer le martèlement du discours anti-immigrés des gouvernants successifs —Sarkozy, Hortefeux, Hollande, Valls—, remarquablement entonné depuis quelques temps par l’actuel gouvernement ?

Malgré tout, il y a parfois des hommes politiques pour rétablir la vérité sur l’immigration en France, loin des propos infâmes du Président de la République : « Contrairement à ce que certains disent, nous ne sommes pas aujourd’hui confrontés à une vague d’immigration […] Le sujet de l’immigration ne devrait donc pas inquiéter la population française […] L’immigration se révèle une chance d’un point économique, culturel, social. Dans toutes les théories de la croissance, elle fait partie des déterminants positifs […] ».

Sauf que l’auteur de ces mots, c’est le candidat Emmanuel Macron lui-même, quelques jours avant son élection, en mai 2017. Ce revirement montre : soit qu’il y a deux ans Macron mentait éhontément sur ses intentions et que son prétendu libéralisme masquait en réalité un souci identitaire fort, soit qu’il y a aujourd’hui à la tête de l’État un homme prêt à toutes les instrumentalisations, quitte à mettre le pays sous le feu mortifère de la division.

La réalité de l’immigration en France

En lançant dans le débat public la question de l’immigration (et que l’Assemblée Nationale mettra en œuvre le 30 septembre prochain, car « tel est Son bon vouloir »), quels sont les éléments de langage distillés par le président de la République et ses comparses de LREM ? 1) il y a des abus dans les demandes d’asile 2) Il convient peut-être d’établir des quotas 3) les Français en ont marre de l’immigration.

Sur ce dernier point, déjà évoqué supra à propos des classes populaires, ajoutons le caractère particulièrement pervers de la saillie présidentielle : il y a en France environ 7% d’étrangers (dont une grande partie d’européens), chiffre remarquablement stable. Ainsi Emmanuel Macron en se rangeant dans le camp de ceux qui observent le « sentiment » sur l’immigration plutôt que sa réalité, valide le racisme le plus ordinaire : Ali, français « de troisième génération » ou Sylla, français « de deuxième génération », restent de visu des étrangers. Qu’on soit devenu français par choix ou qu’on soit né français n’y change rien : Macron se contente de « constater » que l’immigration pose problème. Plutôt que magnifier le pays qui tirerait tous ses enfants vers le haut, il le rabougrit dans un repli identitaire effrayant.

A propos des quotas, notons que le candidat Macron, toujours lui, affirmait : « Je ne crois pas aux politiques des quotas, parce qu’on ne sait pas les faire respecter. Déciderions nous, demain, d’avoir un quota de Maliens ou de Sénégalais d’un côté, d’informaticiens, de bouchers de l’autre, comme certains le proposent ? Un tel dispositif serait quasiment impossible à piloter ». Ainsi en deux ans, une mesure serait passée du statut d’impossible à nécessaire ?

Toujours sur ce sujet, rappelons que l’immigration économique en France représente à peine un peu plus de 10% de l’immigration totale. De quoi parlons-nous ? de 30.000 titres de séjour, c’est-à-dire 0,05% de la population ! Et encore sans considérer qu’un tiers des étrangers quittent la France chaque année. Alors oui, comme le martèle Emmanuel Macron : regardons l’immigration en face. Mais faisons-le sérieusement, avec de vrais chiffres, avec un regard objectif sur la réalité sociale des migrations et non avec les yeux de la haine qui font mentir la droite, l’extrême-droite et ce gouvernement.

Mentir. Voilà qui nous amène à la question de l’asile et de l’accueil.

Observons en premier lieu que Macron, Castaner et consorts mélangent allègrement l’asile et l’immigration (tout en s’en défendant bien entendu), erreur philosophique grave puisque le premier ne peut, par définition, être anticipé ni régulé, du fait des engagements internationaux de la France et de la réalité changeante du monde. Mais amalgamer sciemment quelques dizaines de pauvres hères sur un bateau en plastique (poursuivis dans leur pays, torturés en Libye, faut-il le rappeler ?) et la politique migratoire du pays n’est pas anodin, cela dit tout des intentions du gouvernement.

Quels sont les chiffres de l’asile ? Les demandes d’asile en Europe représentent 0,11% de la population totale (2018), c’est-à-dire une goutte d’eau. Et encore faut-il rappeler que la moitié de ces demandes ne sont pas satisfaites ! En France, comme le répète à l’envi le gouvernement pour faire croire à un déferlement, c’est 0,18%, chiffre effectivement en augmentation depuis deux ans. Mais que représente cette augmentation ? D’abord que, jusqu’il y a peu, la France était très loin d’être la destination préférentielle des persécutés : plutôt que de s’inquiéter d’un chiffre « trop » élevé, il faut nous interroger sur le fait que le « pays des droits de  l’homme », ce prétendu « phare de l’humanité », soit devenu si peu attractif. C’est cela qui doit nous interroger, nous les enfants de Victor Hugo qui ne nous assumons plus. Alors pourquoi cette augmentation des demandes d’asile en France en 2017 et 2018 ? Par un effet de rattrapage essentiellement. Les déboutés dans les autres pays lors du pic de 2015 finissent à contrecœur par tenter leur chance chez nous : un tiers d’entre eux sont « dublinés ». Et cela démontre que le règlement de Dublin III, actuellement en vigueur dans l’Union Européenne, doit être aboli ; il ne fabrique que du malheur, sans aucune efficacité. C’est à cela que devrait s’atteler le gouvernement Macron, plutôt que pointer du doigt une prétendue invasion.

Et puis il y a les mensonges purs et simples : par exemple, les fameux Géorgiens qui abusent du droit d’asile, argument maintes fois avancé par Christophe Castaner. Quelle est la réalité ? En 2018, les demandes d’asiles de Géorgiens représentaient 5% du total. Je dis bien « demandes ». Sachant que 5 à 10% d’entre eux obtiennent vraiment l’asile, cela m’inspire deux choses révélatrices de la façon de faire du gouvernement :

En premier lieu, quel que soit le sujet : pointer du doigt un détail, en faire un bouc-émissaire facile pour faire adopter sa position « de bon sens », généralement démolir l’ensemble du système. Sur les retraites ? Regardez les agents de la RATP. Sur la sécurité sociale ? La faute aux petits fraudeurs à la carte vitale. Sur les allocations chômage ? Traquons l’infime minorité qui abuse. Sur les hôpitaux ? La faute à ceux qui viennent aux urgences sans raison. L’asile ? Voyez ces Géorgiens, pourtant originaires d’un pays sûr. Sauf que 95% des demandeurs d’asile viennent d’ailleurs. Sauf que des Géorgiens, pays sûr ou pas, obtiennent l’asile.

Car le vrai scandale des chiffres de l’asile en France est qu’au sein de l’UE nous nous classons 26ème sur 28 pour le taux de protection (c’est-à-dire le pourcentage de demandeurs d’asile qui l’obtiennent). Oui, le grand pays des droits de l’homme est un des pires protecteurs. C’est là notre honte.

Et que dire de l’accueil, indigne et inhumain ? Le traitement que l’on réserve aux mineurs ? Le manque d’hébergement ? Le non droit au travail pour des demandeurs d’asile ? etc.

Fraternité !

Oui, Monsieur Macron, vous avez raison : il faut regarder l’immigration en face. Et le faire, ce n’est pas valider les thèses de l’extrême-droite, ce n’est pas mentir sur les chiffres —ni inventer le tourisme de l’asile médical—, ce n’est pas attiser la haine entre les citoyens ; c’est vouloir que notre pays accueille dignement, c’est vouloir une société inclusive. Sans angélisme mais ferme sur nos principes, à commencer par celui de la fraternité.

Alors oui, le tableau est sombre. Mais l’esprit de résistance n’est pas mort. Pendant que l’Union Européenne, via Frontex, prévoit de dépenser 1,6 milliards d’euros par an pour ériger des murs autour de notre continent, des associations, des citoyens se battent tous les jours pour un accueil digne. Quand le gouvernement, cherchant clairement à éradiquer l’immigration estudiantine, multiplie par 10 les frais d’inscriptions des étudiants étrangers, beaucoup de présidents d’université refusent purement et simplement d’appliquer cette décision. Quand Christophe Castaner insulte les ONG de secours, celles-ci décident d’en faire plus encore. Quand la police harcèle les citoyens de la Roya ou de Calais qui viennent en aide aux migrants, aucun d’entre eux ne renonce. Quand l’État méprise les travailleurs sans-papiers d’Alfortville, des voisins leur viennent spontanément en aide.

Aucune politique anti-migrants ne viendra freiner l’esprit de fraternité qui règne aussi dans ce pays, ne l’oublions pas. Et les prochaines élections municipales devront, dans chaque ville, être l’occasion de mettre en pratique localement la résistance à la politique injuste et raciste du gouvernement Macron. J’en appelle à tous les maires.

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