« On peut toucher plus d’argent avec les aides sociales qu’en travaillant », affirmait Laurent Wauquiez sur Instagram le 19 novembre dernier. « À composition égale, il faut faire en sorte qu’un foyer qui travaille gagne plus qu’un foyer qui ne vit que d’aides sociales », renchérissait quelques jours plus tard le Ministre du travail et des Solidarités Jean-Pierre Farandou.
Pourtant, toutes les études le montrent, cette idée est parfaitement fausse : non, en France il n’est pas possible de gagner plus sans activité qu’en travaillant. On peut même dire que tout notre système social est justement conçu pour que ce ne soit pas le cas : obligations liées au RSA, APL et autres aides sont calculées en fonction de cela. Quant à la prime d’activité, c’est l’objet même de sa mise en place que d’inciter au travail.
« Travailler doit payer », mais à quel prix ?
Celles et ceux qui propagent une telle idée sont donc soit ignorants, soit malhonnêtes. Quand il s’agit des deux personnes susmentionnées, on ne peut penser sérieusement qu’elles soient mal informées. Cela relève donc d’une stratégie trumpiste : répéter un mensonge jusqu’à ce qu’il devienne vrai. Dans quel but ? A l’évidence de réduire les prestations sociales versées aux plus précaires.
C’est dans ce contexte que le gouvernement prépare actuellement la fameuse « Allocation de solidarité unifiée » (ASU), si chère à Emmanuel Macron et la droite : fusionner RSA, prime d’activité et allocations logement et s’assurer d’un grand écart entre le revenu des bénéficiaires de ces aides et celui qu’ils toucheraient en travaillant.
«Il faut que le travail paye », disent-ils ? Dans un contexte de faible augmentation des salaires réels depuis 15 ans, d’uberisation du marché du travail (le nombre de micro-entrepreneurs est passé de 1 à 3 millions entre 2015 et aujourd’hui) et de temps partiels subis (1 million de personnes), le projet n’est manifestement pas de favoriser la hausse des salaires pour garantir un écart, mais bien de baisser, en les plafonnant, les prestations sociales.
Et pourtant… tous les jours, dans mon Centre communal d’action sociale d’Alfortville, je vois la montée du nombre de travailleurs pauvres qui, bien qu’en emploi, viennent demander de l’aide. L’Insee les estime déjà à 1,1 millions de personnes.
Le précédent britannique
Le Royaume-Uni a déjà réalisé cette fusion avec la mise en place du Universal Credit. Dix ans plus tard, le bilan est terrible : retards de paiement, recours massif aux banques alimentaires et aggravation de la pauvreté : près d’un tiers des bénéficiaires ont vu leur situation financière se détériorer. Voilà donc le projet du gouvernement français : accentuer la précarité, eux qui ont déjà fait passer le taux de pauvreté de 14,5% à 15,4% depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, soit 1,5 millions de personnes pauvres de plus en 8 ans.
La pauvreté est un sujet sérieux
Un tiers des bénéficiaires potentiels du RSA n’y recourent pas ; c’est autant pour l’Allocation aux adultes handicapés ; c’est la moitié pour l’Aide médicale d’Etat . Si l’on prétend lutter contre la précarité, lançons un grand plan pour qu’a minima celles et ceux qui doivent bénéficier de la solidarité nationale y accèdent. Le véritable défi n’est pas de fusionner les aides, mais de garantir l’accès effectif à celles qui existent.
Plutôt qu’inventer une prétendue simplification et un calcul automatisé, misons sur l’humain : renforçons nos Centres communaux d’action sociale, donnons des moyens aux Missions locales, aux services départementaux, à toutes celles et ceux qui, au quotidien, se battent pour conduire les plus précaires sur le chemin de l’autonomie.
Refuser la division morale des pauvres
Car répéter que « travailler ne paie pas » ne fait que marquer une nouvelle division : le « méritant » contre l’« assisté ». C’est là un mensonge populiste qui dissimule mal une rationalisation comptable : l’Allocation de solidarité unifiée n’est pas une réforme sociale, c’est une idéologie de la punition, déguisée en efficacité.
En ces temps d’appauvrissement du pays, la solidarité nationale mérite mieux que ces fausses promesses qui font peser sur les plus fragiles un endettement du pays dont ils ne sont en rien responsables.