Chaque année, nous avons droit au « marronnier » de l’Allocation de Rentrée Scolaire qui ne serait pas utilisée pour acheter des trousses et des crayons, raison pour laquelle il faudrait verser cette aide sous forme de bons d’achat.
Cette année, nos deux premiers vainqueurs médiatiques sont Perrine Goulet, députée LREM tellement fière de sa trouvaille qu’elle en fait une tribune dans le JDD et Périco Legasse, grand spécialiste de l’action sociale puisque chroniqueur gastronomique –et manifestement si repu d’ennui après ses repas gras et arrosés qu’il lui vient l’idée de casser du pauvre sur un plateau télé, tout en rotant sa dernière gorgée de Vosne-Romanée.
En premier lieu, derrière l’obsession du contrôle des dépenses des pauvres, il y a cette idée parfaitement fantasmagorique que ceux-ci ne savent pas gérer un budget et dépensent leur argent n’importe comment. Ce serait, dans l’esprit de ceux qui ânonnent ce poncif, la raison même de leur dénuement. Les études sociologiques sérieuses montrent au contraire que l’immense majorité des pauvres déploient des trésors d’imagination pour jongler avec le manque et survivre malgré la pénurie. Elles révèlent qu’il n’y a pas meilleure gestionnaire qu’une mère désargentée et ses deux enfants scolarisés, qui se débat chaque mois avec 800 €.
Mais peu importe la vérité du terrain, il est tellement plus facile de juger sans savoir ; de ne pas lancer deux euros à un sans-abri parce que « tu comprends, il va aller les boire, c’est donc l’aider lui-même que ne pas lui donner » ; d’affirmer que l’Allocation de Rentrée Scolaire sert à acheter des écrans plats ; que tous ces migrants prétendument dans la difficulté possèdent en réalité des smartphones dernier cri ; etc. Le jugement moral sur les pauvres est un sport très répandu chez ceux qui ne manquent de rien : on n’a en général pas de grief vis-à-vis d’un milliardaire qui dépense des sommes folles pour s’offrir dix minutes de plaisir égoïste dans l’espace, tout en générant plus de gaz à effet de serre qu’une ville entière en un an –et qui, de surcroit, pratique ouvertement l’évasion fiscale pour ne pas participer aux besoins collectifs de la société. En revanche, un bénéficiaire du RSA qui s’achète un paquet de cigarettes parait moralement condamnable. Il faut contrôler les dépenses du pauvre car c’est un resquilleur. Quand bien même les chiffres montrent que le montant des fraudes aux prestations sociales est dérisoire en regard de celui des entreprises (URSAF, évasion fiscale, etc.), c’est bien le pauvre qu’il faut dénoncer et fliquer.
Au-delà de la question de principe, il y a celle du pragmatisme : l’Allocation de Rentrée Scolaire, par essence, ne sert pas qu’à acheter compas et équerres. Quiconque a des enfants sait qu’une rentrée c’est aussi des dépenses de vêtements, le paiement de la cantine, de la crèche, des activités périscolaires, la licence du club de foot, le passe Navigo, l’assurance scolaire, le bureau pour la chambre de l’enfant, etc. Prétendre faire payer par des bons d’achat ces multiples dépenses est, sur le strict plan pratique, complètement délirant : ce serait une usine à gaz administrative pour un bénéfice nul ou dérisoire. (Notons au passage que ceux qui dénoncent la fraude des pauvres et voudraient mettre un tel système en place sont exactement les mêmes qui hurlent à la lourdeur administrative d’un État procédurier. D’ici à penser qu’ils souhaitent simplifier leur propre vie et compliquer celle des autres, il n’y a qu’un pas.)
Entendons aussi que le principe même du bon d’achat est stigmatisant. Il en est de même par exemple avec les bons alimentaires –tels que ceux qu’Emmanuel Macron avait annoncés en grande pompe en décembre 2020, sans que plus personne n’en entende parler huit mois plus tard. Connaitre la pauvreté, c’est aussi savoir la honte que procure le fait de demander de l’aide, c’est comprendre le marqueur social que représente le fait de sortir des chèques-alimentaires à la caisse. Et le comprendre, c’est ne pas le vouloir.
Au contraire de la charité que représentent les chèques-services, il nous faut œuvrer à l’autonomie des plus démunis et justement ne pas les mettre plus encore sous perfusion sociale : leur donner de l’argent, c’est les conduire vers l’autonomie financière, celle qui leur permettra de sortir de l’angoisse du quotidien et les conduira donc plus facilement vers l’insertion, vers l’emploi, vers la citoyenneté. C’est paradoxalement parce que nous donnons de l’argent à un pauvre qu’un jour nous n’aurons plus besoin de lui donner.
Ne nous y trompons pas : le sujet de l’Allocation de Rentrée Scolaire n’est pas qu’un simple marronnier alimenté par des nantis déconnectés : si, sous couvert de bon sens populaire et de pensée magique, le populisme et la démagogie crasse sont ici à l’œuvre, l’ouverture d’un tel débat sert un dessin politique : celui d’un monde où l’État-protecteur disparaitrait au bénéfice de ceux qui « réussissent » et peuvent jouir d’une vie sans aide.
En vérité, le seul problème quotidien des pauvres, c’est le manque d’argent. Notre regard moralisateur doit disparaitre. Notre devoir d’Humains est de les sortir de l’immense difficulté dans laquelle ils se trouvent. Plutôt que de commentaires à la petite semaine, c’est d’une vraie réflexion sur la société tout entière que nous avons besoin : par exemple, travailler à une grande loi-cadre d’éradication de la grande pauvreté. Ou instaurer un revenu d’existence.
Notre humanité gagnerait à se saisir de tels projets, plutôt que se vautrer à la fin de chaque mois d’août dans la fange démagogique.
« Mais peu importe la vérité du terrain, il est tellement plus facile de juger sans savoir »
suivi plus tard de :
« Notons au passage que ceux qui dénoncent la fraude des pauvres et voudraient mettre un tel système en place sont exactement les mêmes qui hurlent à la lourdeur administrative d’un État procédurier. D’ici à penser qu’ils souhaitent simplifier leur propre vie et compliquer celle des autres, il n’y a qu’un pas »
Conclusion, même si on veut se placer en moralisateur, tout le monde juge sans savoir !
La carte restau ne fonctionne que sur certains produits alimentaires en magasin et même que certains jours et que le midi en semaine dans les restau, il est tout à fait possible de créer une carte sur laquelle est versée différentes aides sociales. Aucune honte à payer avec une carte non identifiable.
Absolument d’accord ! Merci pour votre article, responsable du secours populaire de la Dordogne nous organisons aujourd’hui et demain une collecte de matériel scolaire en grande surface et nous allons entendre inlassablement « mais ils n’ont pas besoin ! Ils ont l’ars !! »